Content de lire que la rubrique plaît, malgré sa singularité ! Le forum ne se focalisant à 97,6% que sur les news (enquête Sofres/BVA), j'en étais vraiment venu à douter.
Je ne sais pas chez vous, mais ici depuis ce matin, dehors, c'est Apocalypse Now version l'Age de Glace. Du coup, ça m'a permis de pondre plus tôt ma petite mise à jour du vikend.
Cas no.9 : Space Giraffe, de Llamasoft (XBox 360 et PC, 2007)
La girafe est une espèce de mammifère ongulé artiodactyle et ruminant, originaire des savanes africaines et répandue du Tchad jusqu'en Afrique du Sud. Après des millions d'années d'évolution, la girafe a acquis une anatomie unique avec un cou particulièrement allongé qui lui permet notamment de brouter la cime des arbres. En 2007, elle décide même de brouter l'espace, sous l'impulsion d'un grand malade de la programmation, Jeff Minter.
A vouloir faire trop original, l'on s'expose à l'ignorance polie, voire à l'agacement, des joueurs. Conspué par de nombreux amateurs de shoot them up, la dernière création de Minter, babacool assumé et éleveur de lamas à ses heures, ne fait pas dans la dentelle : psychédélique à l'extrême (douze mille couleurs vous agressent à la seconde), souvent illisible et totalement abscons (le tutoriel plonge le joueur dans des abîmes de perplexité),
Space Girafe a tout, absolument tout, de la daube - le genre de soft qui, au premier coup d'œil, révèle des erreurs de conception si flagrantes qu'elles en deviennent, en réalité…
suspectes.
Minter n'est pas un nouveau venu dans l'industrie. Programmeur indépendant depuis la fin des années 70, il a aligné les hits avec une pénible irrégularité, mais toujours avec un sens aigu de l'originalité, quitte à déstabiliser son auditoire. Et si derrière ce jeu apparemment brouillon se cachait en réalité la huitième merveille du monde ?
Space Giraffe est une version très évoluée du vieux hit vectoriel d'Atari,
Tempest. Le principe est simple : tirer sur tout ce qui bouge. A l'écran, une grille, dont la forme et la complexité varient d'un niveau à l'autre. Au premier plan, une girafe intergalactique très stylisée, que le joueur déplace le long d'une ligne ; en arrière plan, des nuées d'ennemis qui, lentement mais sûrement, progressent le long de la grille, avides de croquer un morceau de girafe. A la façon d'un
Space Invaders, l'objectif du joueur paraît donc simple : anéantir toutes les créatures avant qu'elles n'atteignent le bas de l'écran.
Sauf que.
Tirer sur un ennemi permet à une étrange barre blanche qui traverse la grille de part en part de s'éloigner du premier plan, créant ainsi une
Power Zone à l'intérieur de laquelle la girafe tire non seulement trois fois plus, mais devient tout bonnement invulnérable lors de toute collision avec un ennemi. Tant que la
Power Zone existe, il est donc possible de rentrer avec force dans toute bestiole suffisamment inconsciente pour avoir atteint le premier plan. L'intérêt est double : cela permet de nettoyer à peu de frais la ligne le long de laquelle se déplace la girafe, et cela augmente un coefficient multiplicateur de score qui, tous les trois ennemis anéantis ainsi, augmente d'un niveau, jusqu'à un maximum de 9. Problème : la
Power Zone se rétrécit comme peau de chagrin dès lors que le joueur ne touche plus aucune cible, jusqu'à disparaître totalement lorsque la fameuse ligne blanche est revenue au premier plan. La feinte stratégique consiste donc à trouver le juste compromis entre tirer sur les ennemis (et donc, éloigner la barre blanche afin de créer la
Power Zone) et ne plus tirer (afin de conserver suffisamment d'ennemis à l'écran, et donc, ne pas casser le combo). S'efforcer de gérer la destruction des troupes ennemies intelligemment afin de s'assurer un max de points, voilà qui rappelle le principe de scoring élémentaire de bon nombre de shoots actuels, sauf qu'ici, le principe n'est plus simplement comptable, il est
vital, la ligne blanche octroyant
à la fois points et puissance.
Cette explication n'illustre que la base d'un gameplay d'une richesse étonnante, bourré de subtilités que bon nombre de joueurs trop impatients ne cherchèrent jamais à trouver. Il faut dire que l'enrobage du jeu n'incita guère les plus pressés à persévérer. Si les premiers niveaux semblent parfaitement lisibles (… encore que), les suivants ne tardent pas à afficher des grilles aux formes parfois tellement alambiquées que les ennemis comme les projectiles deviennent tout bonnement impossibles à discerner, les rendant à priori inesquivables. Pire : certains niveaux avancés affichent une zone de jeu couverte d'un filtre rendant l'écran complètement flou - si flou qu'il en devient difficile de distinguer la girafe des ennemis ! De nombreux joueurs crièrent au scandale, pensant que le jeu était tombé dans le piège du psychédélisme excessif et idiot. C'était ne pas comprendre la seconde grande originalité du soft de Minter.
Car
Space Giraffe ne se joue pas comme un shoot ordinaire : il se joue en usant de tous ses sens. Si la vue ne suffit plus, l'ouïe doit prendre le relais. Chaque ennemi, chaque projectile, chaque interaction entre les tirs de la girafe et l'univers qui l'entoure, émet un son distinct. Dans la pratique, cette richesse sonore permet une chose incroyable : jouer à
Space Giraffe les yeux fermés. Bien entendu, la vue s'avère un allié très utile, chaque ennemi correspondant, tout comme les sons qu'ils émettent, à un code couleur immédiatement reconnaissable. Mais lorsque tout s'obscurcit autour de vous (incroyable niveau 64), votre oreille devient votre meilleure arme.
Verdict : Space Giraffe, une daube ?
Non, mille fois non.
Space Giraffe est un jeu qui s'apprivoise. Il se pose comme un
Rez où la symbiose entre les graphismes, le son et le gameplay a été poussée à son paroxysme ; un jeu sans concession à l'ambition si démesurée qu'il prend le risque insensé de ne plaire à personne ; un jeu dont le fond et la forme, en osmose absolue dans leur folie créatrice, le pousse inexorablement vers le flop commercial total. Une œuvre majeure du jeu vidéo, en somme.
Niveau de daubitude : Z